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ANIMATAZINE

DINAÏG STALL

Dinaïg Stall est metteure en scène et marionnettiste (interprète et conceptrice), et enseigne les arts de la marionnette à l’École supérieure de théâtre (UQAM) où elle dirige le DESS en théâtre de marionnettes contemporain.

À l’issue de ses études à l’École supérieure nationale des arts de la marionnette, elle a fondé la compagnie Le bruit du frigo (France), dont elle a été directrice artistique pendant 11 ans.

Elle a également travaillé avec d’autres artistes tels que Johanny Bert (France) ou Jaime Lorca (Chili) et mène depuis 2004 une collaboration artistique fructueuse avec Céline Garnavault (La Boîte à sel, France).

Depuis son arrivée au Québec en 2014, elle a collaboré avec plusieurs créatrices : Sarianne Cormier (pour son court-métrage La Volupté), Marie-Eve Huot (Théâtre L’Ébouriffé et Le Carrousel) et Marie-Christine Lé-Huu (Théâtre de l’Avant-Pays), et mené des projets de recherche création avec la musicologue Catrina Flint (College Vanier) et le professeur Mark Sussman (Concordia University).

Elle est membre du groupe de recherche PRint - Pratiques interartistiques et scènes contemporaine, de l’IREF et du Réqef.

 

Sa recherche-création a pour objet d’explorer les spécificités esthétiques et dramaturgiques de la marionnette contemporaine comme langage singulier, tout en œuvrant à sa rencontre avec les autres formes artistiques.

Depuis janvier 2019, elle mène au Doctorat en Études et Pratiques des Arts (UQAM) un projet qui lui permet d’explorer le potentiel des figures et procédés marionnettiques pour élaborer des représentations féministes et queer.

A Taste for Clay - De et avec Dinaïg Stall - Photos par Elena Sennéchael et Dinaïg Stall - 2021

PARLE-NOUS DE LA GENÈSE DE L'INSTALLATION PERFORMATIVE "A TASTE FOR CLAY". COMMENÇONS PAR LE TITRE, À QUOI FAIT-IL RÉFÉRENCE ?

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L'expression A Taste for Clay est présente dans la nouvelle d'Emma Donoghue intitulée What Remains, que j'ai librement adaptée dans le cadre d'une installation-performance. Donoghue, autrice irlandaise vivant au Canada, en Ontario, depuis plusieurs décennies, est surtout connue pour son roman Room, qui a été adapté au cinéma.

 

Il y a une dizaine d'années environ, la lecture de cette nouvelle m'avait profondément marquée. Donoghue a cette manière particulière de puiser dans les archives historiques relatives aux vies de personnes qui ont réellement vécu et d’y insuffler sa subjectivité, tel une ventriloque littéraire.

 

Cette nouvelle retrace la vie de deux sculpteurs américaines (elles refusaient le mot « sculptress », trop diminutif à leur époque) installées à Toronto, ayant effectué toute leur carrière au Canada et grandement contribué à la reconnaissance de la sculpture dans ce pays, à savoir Florence Wyle et Frances Loring. Il est probable que ces deux femmes aient été en couple, même si cela n'est pas certain, car à l'époque, cela ne se criait pas sur les toits. En tout cas, elles ont partagé leur vie, travaillé côte à côte dans le même atelier, ne se sont jamais mariées, n'ont jamais eu d'enfants et sont décédées à trois semaines d'intervalle.

 

La nouvelle se déroule vers la fin de leur vie, lorsqu’elles ont été placées dans un établissement médicalisé pour personnes âgées. Tout est raconté du point de vue de Florence, tandis que Frances sombre dans la démence.

 

Le motif de l’érosion est très présent dans cette nouvelle : l'érosion de la mémoire, bien sûr ; l'érosion de la relation également, car Frances ne reconnaît plus Florence ; et l'érosion des corps. Qui plus est, leurs œuvres réalisées pour l'espace public ont presque toutes disparues depuis : leurs statues ont été soit détruites, soit déplacées vers des endroits beaucoup moins centraux, à l'exception de la statue d'un homme politique qui se trouve toujours sur la colline parlementaire à Ottawa. La Galerie d'Art de l'Ontario possède environ 200 de leurs sculptures, et aucune n'est exposée dans la collection permanente. Comme beaucoup de femmes artistes, elles ont été largement occultées.

 

Il faut néanmoins reconnaître aussi qu’elles pratiquaient une forme de sculpture qui est complètement démodée maintenant. Leurs œuvres sont très néoclassiques. Personnellement, je ne suis pas très sensible à cette esthétique. En réalité, j'ai été séduit·e surtout par la nouvelle, ce qui m’a touché·e, c’est leur relation (entre elles et à l’art) à travers la fictionalisation proposée par Donoghue. 

 

Le titre A Taste for Clay vient de ce très bel extrait de la nouvelle :

 

« Ça fera 60 ans ce mois-ci que nous nous sommes rencontrées dans ce cours de modelage, à Chicago. Elle était grande et j’étais petite. Elle était belle et moi non. Sa famille l’adorait et la mienne ne s’intéressait pas à moi. Elle avait grandi à Genève, en Suisse ; je venais de Waverly, dans l’Illinois. Elle pensait aimer les hommes et je pensais les haïr. Elle avait foi en la politique et j’écrivais des poèmes à propos des arbres. Elle travaillait par à-coups ; j’en faisais un peu chaque jour. Tout ce que nous avions en commun était notre goût pour l’argile. »

 

Cet extrait est me touche, car je ressens aussi cette affinité pour le matériau argile. Mes deux parents étaient céramistes. J'ai grandi avec, dans la maison, un atelier rempli de terre, sous toutes ses formes : qu'elle soit humide, en cours de recyclage, dans des sacs neufs, à différents stades de cuisson ou transformée en sculpture.

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A Taste for Clay - De et avec Dinaïg Stall - Photo d'Elena Sennéchael - 2021

À TRAVERS L'UTILISATION DE L'ARGILE, QUELS THÈMES ET MODALITÉS REPRÉSENTATIVES AS-TU CHOISI D'EXPLORER ?

Ce qui est amusant c’est que, pendant très longtemps, je n'ai pas développé de relation avec ce matériau. Ma mère m’a raconté, alors que je lui demandais à l’adolescence pourquoi je n'avais jamais modelé, que j’avais bel et bien joué avec l’argile lorsque j’étais toute petite. Mais, vers l'âge de 4 ou 5 ans, il semblerait que j’ai tenté de réaliser une idée précise que j’avais en tête, et que, face à mon incapacité à atteindre le résultat du premier coup, j’ai réduit la terre en petit tas et ai décrété « C'est votre truc, ce n’est pas pour moi ! ».
 
Donc, je n'ai plus touché à de l'argile pendant au moins 15 ans. J'ai recommencé à modeler à l’ESNAM, à Charleville, mais avec une intention très différente de celle de mes parents. La façon dont j'utilise l'argile a toujours été sans la cuire, pour réaliser des modelages, puis les mouler avec du plâtre et faire des tirages dans différents matériaux pour créer des marionnettes. L'objet n'est jamais destiné à être contemplé pour lui-même ; il est conçu pour être mis en mouvement et observé depuis la distance que confère la scène. Ce sont ces modalités qui m'ont ouvert la possibilité de sculpter, car cela retirait la pression d’aboutir à une œuvre finie. Le processus de modelage est une activité que j'apprécie beaucoup, qui m'apporte un profond sentiment de calme, mais je ne peux pas sculpter en me disant : « Je suis en train de créer une œuvre d'art ». Ce n'est pas du tout un processus auquel j'ai accès. Je considère plutôt le modelage comme une étape de la réalisation d’un objet destiné à être mis en mouvement. La marionnette m'a donné accès à la sculpture.
 
Pendant longtemps, j'ai utilisé la même motte d'argile que je recyclais sans fin. Je façonnais des mains, des pieds de marionnettes, les moulais puis recyclais l'argile, conservant ainsi la même motte. Mais lorsque j'ai commencé à travailler à l'UQAM, j'ai été confrontée à l'impossibilité d'utiliser ce matériau. La réalité est que le temps dont je dispose pour exercer mon métier de marionnettiste est extrêmement limité. Bien que je donne des cours à de nombreux·ses apprenti·es marionnettistes, il me reste très peu de temps pour pratiquer moi-même. Cela signifiait que je ne pouvais pas travailler avec de l'argile, car malgré mes tentatives pour la conserver humide en l'enveloppant de tissus, elle se desséchait rapidement faute de pouvoir y revenir régulièrement. Par conséquent, j'ai dû me tourner vers la plasticine.
 
Maintenant, je suis capable de sculpter avec ce matériau, mais au début, je détestais ça. Il ne présente pas la même résistance, sa ductilité n'est pas du tout la même, et sa température diffère aussi. J'ai fini par apprendre à apprécier les possibilités offertes par la plasticine, mais au début, cela a été une lutte.
 
En même temps, ce séchage rapide de l’argile qui rendait impossible pour moi de l’utiliser au quotidien m’a inspirée. Après avoir suivi un stage de stop motion avec Clyde Henry Productions par le biais de l'Association Québécoise des Marionnettistes en 2016, l'idée m'est venue de réaliser un film image par image avec de l'argile. C’est évidemment voué à l’échec, l'argile n'est pas utilisée pour la stop motion, parce qu’elle sèche trop vite entre les prises. Mais c’était justement ça qui m’intéressait, utiliser à revers les spécificités du matériau, ses propriétés physiques, faire quelque chose avec qu’il n’est pas vraiment censé faire, pour aborder le thème de l'érosion, de cette transformation à laquelle nous sommes tous.tes destiné.es. Car nous aussi, nous nous érodons. Comparés à la pierre, par exemple, les corps humains s'érodent très, très vite. J’aime beaucoup cette phrase de Rebecca Schneider : « Geological time is the time in which rocks live. (Le temps géologique est le temps de vie des pierres.) »
 

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A Taste for Clay - De et avec Dinaïg Stall - Photo d'Elena Sennéchael - 2021

Et soudainement, tout s'est assemblé dans ma tête : cette nouvelle, What Remains, lue plusieurs années avant, la stop motion et l'argile. Cela a évolué lors de la recherche-création, j’ai fait le deuil de la stop-motion, pour plusieurs raisons. Tout ça a cheminé longtemps, sur presque dix ans, en fait. J'avoue que c'est un temps un peu particulier. Avec beaucoup de pertes et de transformations en raison de cette temporalité. Après un peu d’anxiété à voir ce projet s’étirer plus que d’habitude, je me suis dit que j'étais peut-être moi aussi dans une temporalité autre – celle de l'argile ? – et que j'allais l'embrasser.

 

Ça s’est traduit dans le partage du travail à un public, aussi. J'avais envie de pouvoir utiliser un temps plus long, qui n’est pas celui de la représentation théâtrale. Un temps d’installation, avec des activations de la matière. J'aimais cette idée de travailler avec la transformation du matériau – et non plus contre, comme lorsque j’échouais à sculpter avec l’argile dans les interstices de mon nouveau métier de professeur.e.

 

Lorsque des pièces en terre sont destinées à la cuisson, il y a plein de règles à suivre pour que le séchage ne crée pas de craquelures. Moi à l’inverse, c'est exactement ça que je cherchais : que ça craque, que ça cède. Dans l’installation, par exemple, une sculpture représente des mains tenant de vrais outils de sculpture : un maillet et un ciseau. Les mains sont modelées en argile crue. Au fur et à mesure du séchage, avec l’évaporation de l’eau, l'argile perd de son poids. Et donc non seulement les mains se mettent à craquer, mais, au bout d'un moment, elles tombent, car les outils, eux, restent toujours aussi lourds et entraînent la chute des mains. Cette sculpture évoque l’histoire de Frances Loring qui a dû finir à la main la sculpture d’un lion en pierre plus grand que nature. Elle avait fait appel à un tailleur de pierre qui travaillait à la machine, mais celui-ci n'avait pas supporté de recevoir des ordres d'une femme, et avait commencer à modifier le design sans lui demander. Elle l’avait renvoyé sur le champ, mais n’étant pas formée comme tailleuse de pierre, elle ne savait pas utiliser la machine. Qui plus est, cette pierre était un matériau de piètre qualité, mais Frances avait reçu l’interdiction d’utiliser une pierre d’origine étrangère. On était en temps de guerre, le monument était pour le jubilé de la Reine Victoria, le patriotisme l’emportait sur la beauté. Elle a donc dû terminer la sculpture à la main, sur cette pierre granuleuse et très dure, en plein hiver, au bord du lac Ontario.  On peut imaginer que cela a été un enfer à réaliser. Dans la nouvelle, Florence décrit les mains de Frances comme des griffes lorsqu’elle repose son ciseau, l’œuvre achevée. On sait que l’artiste a, par la suite, souffert d'arthrite dans les mains jusqu’à la fin sa vie. Cette sculpture en argile crue était pour moi une façon d'évoquer cet épisode à travers les propriétés du matériau.

 

C'est quelque chose que je trouve puissant dans les spectacles de marionnettes : on n’est pas obligé de dire certaines choses parce que le matériau les raconte déjà. La matière porte déjà le récit.

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A Taste for Clay - De et avec Dinaïg Stall - Photo d'Elena Sennéchael - 2021

COMMENT AS-TU TRAVAILLÉ LORS DE LA CRÉATION DE L'INSTALLATION, COMMENT S'EST DÉROULÉ TON PROCESSUS CRÉATIF ?

 

Lors du partage de mon travail de recherche-création, j’ai choisi le format d’une installation – avec plusieurs stations entre lesquelles les gens pouvaient d'abord déambuler, regarder les sculptures de près, lire quelques très courts extraits de la nouvelle sur les cartels – ponctuée d’une performance pendant laquelle certains extraits du texte étaient entendus en anglais. J’étais comme une sorte de passeuse qui traduisait certains fragments en français et mettait en mouvement les sculptures, sans forcément les toucher. Par exemple, lors d’un extrait où Florence raconte que Frances ne la reconnaît pas lorsqu’elle tente de lui parler, j’utilisais les tourettes de sculpture et je donnais à voir cette communication qui achoppe, juste à travers les mouvements de rotation des bustes.

 

Il y avait des sculptures en argile, d'autres en plâtre, et d'autres encore qui étaient un mélange des deux. Il y en avait une en silicone aussi, pour le mouvement tremblotant, mais c’est de la triche ! C’est la dimension théâtrale, aussi, on peut jouer avec le semblant. J’utilisais différents registres de figuration, plus ou moins réalistes. Certaines des sculptures représentaient les visages des artistes, d’autres de petits bustes, d’autres encore étaient des vêtements de travail trempés dans la barbotine et rigidifiés par le séchage.

 

À la fin de la performance, je projetais au rétroprojecteur une photo des deux artistes jeunes sur une bâche enduite de barbotine séchée, craquelée. En passant la main derrière la bâche, je pouvais faire tomber des morceaux de barbotine sèche, qui emportaient un fragment d'image pendant quelques millisecondes. Selon certaines personnes, cela donnait l'impression que Florence, qui est à droite sur l'image, pleurait.

 

Je veux aussi nommer ma collaboration avec Clea Minaker qui a été ma fidèle complice tout au long de la dernière résidence. Sa présence a été tellement essentielle pour finaliser cette première version du projet. En juin 2021, j'ai d’abord eu une semaine de résidence à la MIAM, la Maison Internationale des Arts de la Marionnette ; puis en juin 2023, j’ai eu la grande chance d’obtenir trois semaines de résidence à OBORO, un centre d'arts visuels et médiatiques à Montréal. Il m'a été permis d'investir une de leurs salles d'exposition pendant toute la résidence. J'ai beaucoup aimé cela : sortir de la boîte noire du théâtre et investir la boîte blanche de la galerie, mais de façon très performative et théâtrale. Je pense que toute ma pratique est interstitielle, à la lisière entre arts scéniques et arts visuels.

 

À un moment donné, pendant des répétitions avec Cléa, un élément de scénographie a lâché, et la tête de Frances est tombée au sol et s'est complètement écrasée sur un côté. Il a fallu que je la resculpte. C'était assez particulier, car nous répétions une scène qui raconte précisément le moment où Frances sombre dans la démence sénile. C'est à ce moment-là qu’elle a, littéralement, perdu la tête. Évidemment, sur le moment, je n'étais pas ravie d'avoir quatre heures de sculpture supplémentaires, mais j'étais touchée aussi. Je ne suis pas croyante, mais j'avoue avoir trouvé ce moment fort. Peut-être que Frances me faisait un petit signe, au-delà du temps et de l'espace, en faisant tomber cette incarnation temporaire de son visage ?

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A Taste for Clay - De et avec Dinaïg Stall - Photo d'Elena Sennéchael - 2021

QUELLE A ÉTÉ LA RÉCEPTION DE TON PROJET, ET QUELS DÉVELOPPEMENTS ENVISAGES-TU POUR CELUI-CI ?

 

Ce qui reste ? Je pense que ce sont des traces, toujours des traces. Des empreintes qui permettent à d'autres de s'emparer des récits, de les interpréter. Je crois que c'est vrai pour tout le monde, mais c'est particulièrement vrai pour les femmes artistes, et encore plus pour les femmes artistes queers ainsi que pour les personnes queers en général. Nos traces dans l'histoire sont souvent invisibilisées ou occultées, rendues conformes. L'effacement de nos œuvres et de nos existences est constant.

 

On ne cesse de redécouvrir, par exemple, les artistes lesbiennes. Elles sont constamment effacées et réapparaissent sans cesse. Il y a une autrice qui appelle cela « la lesbienne apparitionnelle » (The Apparitional Lesbian: Female Homosexuality and Modern Culture, T. Castle, 1995). Elle propose que cet effacement contribue aussi à notre force, car, même si ce n’est pas l’objectif, il contribue à nous faire réapparaître sans cesse, à chaque nouvelle génération d’artistes qui cherche les traces de ses aînées. Notre présence a quelque chose de clignotant ou de spectral, et mon travail a aussi été nourri par la proposition de Jack Halberstam dans The Queer Art of Failure que la spectralité possède un potentiel queer.

Il y a quelque chose de spectral dans ces blouses barbotinées. Me glisser dans l’une et la faire marcher, à l’aveugle, était drôle, touchant et puissant à la fois. Le fait d'être habité.e par d'autres est une expérience très familière aux marionnettistes, tout autant que de donner présence à d'autres hors de soi. Cela soulève aussi de nombreuses questions éthiques et engage notre responsabilité : qui représentons-nous ? Est-ce vraiment à nous de représenter ces personnes ? En tant que marionnettistes, je ne pense pas que nous puissions tout représenter, physiquement ou éthiquement.

 

Dans ce travail, je m’insère explicitement dans une filiation lesbo-queer à travers l’enchâssement des œuvres de Loring-Wyle, de celle de Donoghue et de ma propre recherche-création. Je me place dans une logique de réinvention assez proche de celle d’Emma Donoghue qui écrit dans les interstices des documents d’archives, d’une façon qui propose une interprétation possible du réel, à partir de son propre imaginaire, de sa propre histoire de marginalisation. C’est pour ça que, comme bien d’autres artistes avant moi, j’en appelle aussi aux mots de Monique Wittig dans Les Guérillières : « Tu dis qu'il n'y a pas de mots pour décrire ce temps, tu dis qu'il n'existe pas, mais souviens-toi, fais un effort pour te souvenir, ou à défaut, invente. »

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A Taste for Clay - De et avec Dinaïg Stall - Photo d'Elena Sennéchael - 2021

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A Taste for Clay - De et avec Dinaïg Stall - Photo de Dinaïg Stall - 2021

QUEL EST LE LIEN AVEC LA TERRE QUE TA RECHERCHE SOUHAITE SUGGÉRER ?

 

Au début de la performance, je m'adresse directement aux spectateur.ices et, après avoir situé la performance dans ma recherche-création, je parle de l'argile utilisée, de sa provenance. Elle provient d'un territoire autochtone non-cédé. C'est important pour moi de souligner l'histoire du matériau, la façon dont il est traversé par la violence coloniale. Les peuples et nations autochtones sont les gardien.nes des terres et des eaux dont ce matériau est issu. C’est grâce à leur soin pour ce territoire qu’il reste de l’argile, malgré des siècles d’extractivisme colonial – d’exploitation capitaliste de ce matériau et, plus encore des forêts, des sous-sols, etc. Travailler avec un matériau brut, c’est aussi interroger son inscription dans l’écologie d’un lieu.  

 

Donc voilà, je pense que l'argile est là pour tout cela. Pour l'érosion, mais aussi pour son incroyable persistance. L'argile sèche, s'érode rapidement, elle se fissure. Mais il est également aisé de l’humidifier à nouveau, de la récupérer et de créer de nouvelles choses avec, de donner vie à nouveau.

 

C'est l'érosion et la persistance conjuguée qui m'intéressent dans ce matériau.

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A Taste for Clay -  2021 - Photo de Dinaïg Stall : "Lorsque j'étais en résidence à OBORO en fin de printemps et début d'été, les forêts flambaient des jours durant au Nord du Québec. L'air à Montréal était régulièrement irrespirable, et la lumière d'un orangé aussi beau que toxique. C'est cela que l'on perçoit un peu sur la photo avec le petit buste excentré et la grande surface lumineuse orangée. C'était un contexte très étrange, qui rappelait l'urgence de changer totalement de direction, collectivement, afin de revenir à des formes d'attention au monde beaucoup plus soutenues et à des pratiques de soin envers tout ce qui nous entoure."

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